Un
mari plein de sollicitude Le
patient au bon potentiel L’art
du grand portrait
Un
mari plein de sollicitude
Un jour, un
monsieur d’âge moyen est venu chez moi accompagné de sa femme :
- Docteur, a-t-il dit, autrefois elle était mince comme une
ballerine. Et maintenant, voyez ça ! Je vous demande de lui prescrire un
régime pour qu’elle maigrisse.
J’ai regardé sa femme : elle n’était pas mince, mais on
ne pouvait pas dire qu’elle était grosse. L’essentiel a été que j’ai lu
dans ses yeux qu’elle ne voulait faire aucune sorte de régime. Si elle l’avait
effectivement voulu, elle serait venue consulter d’elle-même. Dans le cas
présent, il était évident que c’était son mari qui l’avait forcée. Et,
à l’évidence, cela était devenu une cause de conflit entre eux : le
mari voulait une ballerine et, elle, se sentait bien telle qu’elle était.
Bien, ai-je pensé, comment trouver le bon mot afin qu’elle ne
maigrisse pas.
- Évidemment, ai-dit au mari, un régime ne pose aucun problème,
mais pour maigrir, un régime seul n’est pas suffisant. Deux choses
supplémentaires s’imposent.
- Lesquelles ? a-t-il demandé.
- Premièrement, pratiquer un exercice physique : tennis,
natation, course à pied tous les matins...
- Bon, nous organiserons des séances de tennis et de natation, a
approuvé le mari.
- Deuxièmement, ai-je dit, il est à jouter qu’il est absolument
essentiel que vous lui fassiez l’amour plus souvent.
L’homme s’est gratté la nuque, a regardé sa femme et, après
une minute de réflexion, a demandé :
- Plus souvent, c’est-à-dire ?
- Il serait mieux que ce soit chaque jour ! Et longtemps !
Pas moins d’une heure !
- Hum... Chaque jour ?
- Oui, c’est préférable. Sans sexe intensif, aucune femme ne
maigrit.
- Ah, oui, a-t-il dit, mais vous savez, il me semble que l’embonpoint
lui va de toute façon...
- Votre femme vous paraît très plaisante, ai-je lancé. Il n’est
pas nécessaire qu’elle maigrisse.
Le
patient au bon potentiel
Un jour,
un patient est venu chez moi pour une consultation.
- Qu’est-ce que vous avez ?
Il a bafouillé, hésitant :
- Voilà, j’ai un… problème, a-t-il dit.
Je l’ai regardé : c’était un homme entre deux âges,
très embarrassé de devoir exposer ce qui le tourmentait. Tout de suite, j’ai
supposé qu’il était impuissant.
J’ai alors posé la question suggestive suivante :
- Vous avez..., heu..., des problèmes de potentiel ?
Sa réponse me laissa bouche bée) :
- Non, docteur. Mon potentiel est bon. C’est mon érection qui
est mauvaise.
L’art
du grand portrait
On m’a
demandé de donner un cours d’acupuncture à l’Institut de Kiev pour le
perfectionnement des médecins. J’ai passé en revue les ouvrages
spécialisés et préparé des affiches et des schémas. Mais il s’est avéré
qu’il manquait une petite chose : la représentation de l’oreille à
partir de laquelle je devais présenter les points où appliquer les aiguilles.
Que pouvais-je faire ?
Première variante : dessiner moi-même une oreille. Sauf qu’il
y a bien une chose que je ne sais pas faire, c’est dessiner.
Deuxième variante : trouver dans un livre le dessin d’une
oreille, le scanner et l’agrandir à l’aide de l’ordinateur, l’imprimer,
et le problème est résolu. Sauf que cette histoire s’est passée à l’époque
où je n’avais pas encore d’ordinateur.
Troisième variante : trouver un artiste-peintre. J’ai pris
mon agenda et y ai cherché des connaissances artistiques. L’un ne répondait
pas, l’autre était occupé et le troisième ne se trouvait pas en ville. Pour
les artistes, c’était fichu.
Comment résoudre le problème ?
Voilà qu’une grande idée m’est venue : je me suis
rappelé qu’à la sortie de la station de métro “ Ma¿dan
Nezalezhnosti ” (Place de l’indépendance) se trouvent des graphistes
de rue qui gagnent leur l’argent en peignant : ils font des portraits
pour 20 grivnas. Quelle différence pour eux, ai-je pensé, que de dessiner
différentes parties du corps, que ce soit le visage ou autre chose. Qu’ils me
dessinent une oreille pour 20 grivnas !
Je me suis donc rendu là-bas. Il y en avait trois qui étaient
installés devant leur chevalet et observaient les passants sournoisement. Je me
suis approché de l’un d’eux :
- Je voudrais commander un petit dessin.
Il m’a longuement regardé, vous savez, de ce regard qu’un
peintre peut jeter, doublé d’un léger mépris et sans afficher d’intérêt
particulier.
- Vous le voulez de face ou de profil ? a-t-il demandé.
- De profil, lui ai-je murmuré, mais juste une oreille, rien d’autre.
Et de plus grande dimension, s’il vous plaît.
Il m’a alors regardé avec une certaine considération :
- Ah, oui ? De dimension, vous dites, plus grande ?
J’ai lu dans ses yeux qu’il en avait vu des dérangés, mais
des comme moi, c’était la première fois.
Il m’a examiné encore une fois, et m’a dit :
- Vingt grivnas !
- Pas de problème, ai-je répondu.
Il m’a demandé de m’asseoir sur l’escabeau. Sans doute
avez-vous déjà remarqué que les peintres de rue installent leurs clients de
manière à ce qu’ils tournent le dos au public. Ainsi, les passants peuvent
voir tout le processus de création du dessin, leur faisant ainsi une sorte de
publicité.
Celui-ci a fait exactement le contraire : il m’a installé
plus près du public et lui-même s’est assis le carton à la main et le dos
appuyé contre le mur pour que personne ne puisse voir ce qu’il y reproduisait.
Il s’est mis à travailler. Quant à moi, j’étais assis complètement de
profil à lui, pour qu’il voie mon oreille...
À ce moment-là, son collègue peintre, qui était assis à côté,
s’est approché de nous.
Une fois près de moi, il m’a fixé du regard et a dit :
- Oh ! Vous êtes très photogénique ! Et charismatique !
Vous savez, je vais moi aussi vous peindre. Si vous aimez ma toile, vous pourrez
l’acheter. Si non, je la garderai. Il n’y a aucun problème. Ok ?
- Ok, ai-je répondu. Et il s’est mis à dessiner. Pas l’oreille
bien sûr, mais le corps entier, comme il se doit.
Sur ce, le troisième peintre, qui était assis de l’autre côté,
lui a lancé :
- Monia ! Tu ne fais que barbouiller le papier ! Je vais
te montrer comment il faut dessiner le charisme !
Et le troisième peintre s’est également mis à ébaucher mon
portrait, n’ayant rien d’autre à faire car il n’y avait aucune commande
ce jour-là.
Les passants qui ne cessaient de défiler se sont aperçus que
quelque chose d’inhabituel se passait : trois peintres esquissaient un
client... Curieux, les gens s’arrêtaient, commentaient, examinaient en
détail, regardaient qui des artistes étaient le meilleur. Mais seuls deux
portraits étaient visibles, le troisième, qui était tourné vers le mur, non.
Une petite dame, curieuse, s’en est approchée la première à
pas furtifs. Après y avoir seulement jeté un coup d’œil... elle s’est figée :
elle m’a regardé moi, puis “ mon portrait ”, c’est à dire l’oreille.
Je lui ai demandé :
- Alors, c’est ressemblant ? Non ?
À cela, elle s’est dépêchée de regagner le métro. Le public
était intrigué – qu’est-ce que cela pouvait être ? Les gens ont
commencé à encercler le peintre qui dessinait mes deux oreilles. Ils voulaient
évidemment voir le dessin. Mais le peintre s’est redressé contre le mur et a
crié :
- Ne m’empêchez pas de
travailler !
Et il les a tous chassés d’un
geste de la main.
Les
gens se sont écartés. Mais ils demeuraient là, dans l’attente. Ils
attendaient de pouvoir regarder le portrait qu’il avait dessiné.
Quelque temps après, les trois peintres avaient achevé leur travail.
Celui qui avait dessiné l’oreille a jeté un bref regard sur le
dessin et l’a roulé en tube ! Il souhaitait me rendre son chef d’œuvre
de telle manière que le public ne le voie pas.
Eh, oui !
J’avais raté une occasion de me produire !
Je me suis
levé de la chaise et ai saisi l’un des portraits.
- Pas mal, pas
mal ! ai-je dit à l’adresse de l’auteur. À mon avis, vous êtes celui
qui est parvenu le mieux à reproduire la courbure du nez. On y sent la
perspective ! Le mouvement ! Mais... d’un autre côté... Mmm... (en
prenant le ton d’un connaisseur), votre reproduction est trop... concrète...
et je voulais quelque chose de moderne ! De post-moderne, comme on dit...
Mais, c’est bon, je le prends.
Je lui ai donné 20 grivnas et ai saisi le deuxième portrait.
- Mmm... bien... Le tout est... original, vous savez ?
Original... Il y a du post-modernisme, vous savez ? C’est présent, tout
à fait présent... Mais cela manque de symbolisme, le symbole devant refléter
mon âme. Je ne le prendrai pas pour 20 grivnas, par contre, si pour dix...
Il a été d’accord. Je lui ai donc donné 10 grivnas, et
finalement, j’ai déroulé le dessin de l’oreille pour le montrer au public.
- Admirable ! ai-je dit. Admirable ! C’est absolument
ce que je voulais. Dans ce portrait, vous avez saisi mon âme... Mon alter ego !
Merci ! Picasso pourrait envier ce travail ! Vous êtes un véritable
talent ! Un génie ! J’ai serré la main artistique du peintre, lui
ai donné 20 grivnas et suis parti vers le métro.
Le public s’est
écarté silencieusement pour me laisser passer.
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